Une sacrée histoire

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22.01.2018

Sacré chœur de Gilgamesh. Adaptation du texte et mise en scène : Nadine Walsh, assistée de Michel Levesque ; Interprètes : Jean-Sébastien Bernard, Franck Sylvestre, Nadine Walsh ; Conseiller aux arrangements vocaux : Michel Faubert ; Régie: Calex.  Présenté le 5 décembre 2017 à Québec, à la Maison de la littérature

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Récit primordial s’il en est un, l’histoire de Gilgamesh remonte à 5000 ans, à l’époque où la Mésopotamie – berceau de la civilisation – connaissait les premières cités et les premiers écrits. Doyenne des histoires écrites, première entre toutes, elle a d’abord été diffusée dans l’ensemble du proche orient ancien – où on l’a retrouvée sur des tablettes d’argile, rédigée en langues aujourd’hui mortes – pour enfin se rendre jusqu’à nous. Gilgamesh, héros ancestral et homme-dieu des enfers, hante aujourd’hui une panoplie de jeux vidéos et on reconnait ici et là les bribes de ses aventures en version romanesque et bédéesque. Au Québec, l’honorable Jean Marcel nous en offrait la toute première traduction en français, réalisée à partir des textes sumériens originaux et de traductions anglaises et allemandes. À partir de son ouvrage, une adaptation sonore a été réalisée par André Major en 1976 pour Radio-Canada. L’ouvrage a été publié chez VLB en 1979, sous le titre Le Chant de Gilgamesh.

Il n’est pas anodin que cet ouvrage débute par Le Chant : on se doute bien que, par-delà les vénérables tablettes d’argile ou les actuelles tablettes numériques, les aventures de Gilgamesh ont principalement été transmises de bouche à oreille. C’est d’ailleurs sous cette forme orale que Nadine Walsh nous propose de replonger dans le récit de Gilgamesh, elle qui en a adapté les textes /01 /01
Elle précise d’ailleurs volontiers lorsqu’on l’interroge à ce sujet :  J’ai tenté de rester le plus près de la version archaïque, je me suis basée sur L’Épopée de Gilgamesh, l’homme qui ne voulait pas mourir, traduit de l’akkadien par Jean Botéro, assyriologue français (chez Gallimard). Je me suis aussi nourrie du livre de Théodore H. Gaster  Les plus anciens contes de l’humanité ainsi que Raconter et mourir de Thierry Hentsch ». 
pour la scène. Présentée à la Maison de la littérature le 5 décembre dernier, Sacré Chœur de Gilgamesh raconte la naissance et les périples du roi, son amitié avec Enkidu et leurs combats. Ce mythe n’étant rien de moins qu’au fondement de l’humanité et de la littérature, on aurait pu s’attendre à une prestation fagotée de décorum ou encore à une scénographie garnie de motifs ou de fioritures à profusion, ancrée dans la tradition des arts décoratifs orientaux. Rien de cela dans la proposition de Nadine Walsh, qui profite d’une approche élémentaire, exploitant principalement les voix dans l’éventail de leurs possibilités narratives. Il est vrai que quelques effets visuels emballent le récit et viennent ajouter à la justesse du mouvement comme des éclairages finement ciselés ou de rares déplacements. Ainsi des mains deviennent adroitement des marionnettes, mimant un affrontement corps à corps, ou un ébat amoureux est représenté simplement par la proximité qu’impose le partage d’un seul micro à deux : l’économie des moyens laisse place à la puissance du récit et aux aptitudes des conteurs.

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Nadine Walsh elle-même, escortée de Franck Sylvestre et Jean-Sébastien Bernard, donne voix à l’histoire. Le récit est une trame sonore finement enchevêtrée, de mailles à l’endroit comme à l’envers. Chacun des récitant est soutenu tour à tour par les bruitages vocaux, les chants et les itérations rythmiques des autres, quand ils ne racontent pas tous simplement à l’unisson. Une polyphonie à la fois élaborée et épurée nous fait traverser les âges, nous connecte l’instant d’un « il était une fois » aux temps immémoriaux. Chacun des personnages est annoncé en chœur, une signature sonore unique l’engendre et l’interpelle. Le caractère incantatoire de la parole prononcée est exploité avec une solennité qui ne manque pas d’humour. L’audace impose l’écoute et le respect. Les orateurs ont beau être strictement campés devant leurs lutrins respectifs, les voix, tantôt vociférées, tantôt chuchotées, se déploient et créent l’espace nécessaire au grandiose: le palais, la forêt de cèdres géants, la steppe sauvage habitée par les troupeaux, la mer d’infinitude, le royaume des morts.
 
Enkidu se fait homme, sort de son état sauvage après avoir rencontré la joyeuse. Il devient un être social après s’être battu d’égal à égal avec Gilgamesh, dont il est dès lors le fidèle ami. Mais Enkidu ne résiste pas au Taureau céleste et meurt de ses blessures. Gilgamesh veille le corps jusqu’à sa putréfaction et refuse qu’un même sort s’abatte sur lui. Si Enkidu devient un homme, Gilgamesh refuse sa condition et, après s’être mesurer aux Dieux, aspire à l’immortalité. Or, les hommes sont égaux devant la mort, même le plus puissant et le plus valeureux n’y échappe pas. Sacré chœur de Gilgamesh nous rappelle cette vérité élémentaire. Mais, plus encore, le Sacré chœur nous rappelle la puissance des mots qui, de langues mortes en souffles nouveaux, offrent malgré tout à Gilgamesh et son mythe millénaire un peu d’éternité.
 
Au moment où « on accueille des Syriens qui fuient la guerre et les monuments de l’époque de Gilgamesh sont détruits », cette histoire –l’histoire des histoires–, relie l’actualité à l’universalité et nous invite à méditer sur notre part sacrée. « Ne sommes-nous pas tous frères et sœurs, cette première histoire écrite de l’humanité nous vient du berceau de notre civilisation, ne l’oublions pas », conclut Nadine Walsh lors d’un entretien suite à la présentation du spectacle à la Maison de la littérature. L’épopée de Gilgamesh, morcelée et mouvante, est à l’image de l’humanité et de la langue. Elle révèle sa puissance comme sa vanité, sa grandeur et sa turpitude. Plusieurs versions éparpillées dans le temps et en langues disparates permettent d’en reconstituer la silhouette sans la rendre complètement. Dans les textes originaux, des formules incantatoires reviennent sans cesse et se répètent, rappelant que nous sommes les mêmes depuis la préhistoire, depuis que Gilgamesh à reconstituer la première citée après le déluge : mi-dieux mi-bêtes, en quête de sens.
 

crédits photos: Marie-Andrée Lemire.

 

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Elle précise d’ailleurs volontiers lorsqu’on l’interroge à ce sujet :  J’ai tenté de rester le plus près de la version archaïque, je me suis basée sur L’Épopée de Gilgamesh, l’homme qui ne voulait pas mourir, traduit de l’akkadien par Jean Botéro, assyriologue français (chez Gallimard). Je me suis aussi nourrie du livre de Théodore H. Gaster  Les plus anciens contes de l’humanité ainsi que Raconter et mourir de Thierry Hentsch ». 

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