Se situer à contre-courant du monde

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Sam & Angèle. Instigateur: Sovann Rochon-Prom Tep. Performance et cocreation: Angélique Willkie et Samantha Hinds. Installation visuelle : Laïla Mestari. Coproduction : La Chapelle Scènes Contemporaines, Diagramme – gestion culturelle et Agora de la danse. Présenté au Théâtre La Chapelle Scènes Contemporaines jusqu’au 11 mars.

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Si l’intention du chorégraphe et créateur Sovann Rochon-Prom Tep était de nous suggérer un moment d’arrêt, force est d’admettre qu’il a atteint son but. Sam & Angèle parle de quelque chose qui ne se raconte pas vraiment, mais qui nous apparaît nécessaire à une époque où tout nous échappe continuellement et où il est difficile de s’ancrer quelque part – surtout en soi.

Sam & Angèle, ce sont les diminutifs qu’utilisent les interprètes, Samantha Shayla Hinds et Angélique Wilkie. La formulation donne déjà le ton, évoque une rencontre familière, et laisse pressentir une connivence que Sovann a su mettre en scène en réunissant le monde créatif de ces deux artistes qui naviguent entre le mouvement et la voix. C’est à travers ces deux médiums que les interprètes portent ensemble ce manifeste pour une lente introspection.

Le découpage du spectacle suit naturellement un élan instinctif qui débute par la lecture en français d’une chanson écrite par Laïla Mestari. Elle est ensuite reprise a cappella en anglais par les deux interprètes. La puissance des voix plonge l’audience dans un recueillement attentif et sensible auquel succèdent deux solos de Samantha et Angélique. La première danse librement en invoquant un vocabulaire tiré du house (fluidité des jeux de pieds) et du waacking (mouvements de bras). Tout se déroule dans un silence absolu, qui nous pousse à nous demander si l’interprète bouge sur un rythme intimement connu ou si elle crée plutôt sa propre cadence. Quant à Angélique, elle offre une performance très axée sur l’exagération des expressions faciales et des états de corps, inscrivant son interprétation dans un horizon tragi-comique.

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Ce qui se révèle dans le silence

La suite du spectacle est une alternance entre de petits apartés de jeu, de chant, de prises de parole et de courtes séquences où le corps est convoqué. Mais le personnage omniprésent de cette pièce est le silence, le temps long. Ensemble, les interprètes créent un rituel, une cérémonie qui n’a pour but que le don de soi et qui se crée dans une sorte de contemplation frôlant l’inconfort. Dans la douceur que fait naître Sam & Angèle réside un malaise, celui qu’on éprouve lorsque l’on regarde une certaine beauté tout en se disant qu’on n’y a pas vraiment droit.

La toile de fond de cette exploration a été imaginée par l’artiste visuelle maroco-québécoise Laïla Mestari. Pour Sam & Angèle, elle a façonné un monde d’œuvres textiles, de collages, de vêtements-accessoires qui confère à la performance un espace propre. Que ce soit à travers la palette de couleurs (principalement pastels) ou dans le rapport des performeuses aux différents objets mis à leur disposition, l’idée du jeu et du lâcher-prise traverse en filigrane le spectacle, rendant impossible d’enfermer celui-ci dans une analyse trop rigide.

Un monde à soi

L’une des chansons, écrite par Sovann Rochon-Prom Tep, invite justement à apprendre « à perdre pied », à redéfinir notre rapport à l’utilité, à celle que nous pouvons avoir. L’enjeu est soulevé au détour d’une parole : « je voudrais encore être aimée même si j’étais inactive ». Dans l’une de ses adresses au public, Willkie revient sur ce sentiment d’être étouffée par l’avalanche des choses à faire, la course à la productivité, les constantes sollicitations, l’accélération des jours. Sam & Angèle oppose à ces injonctions le désir de ne rien faire. Lorsqu’on essaie de recoller les morceaux du casse-tête imaginatif que nous offre Sovann Rochon-Prom Tep, on réalise qu’il mise justement sur peu de choses, faisant le choix du non-spectaculaire. La manière qu’ont les danseuses de s’approprier l’espace dans une économie de mouvements et d’actions traduit ainsi un refus de divertir.

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Que sommes-nous en dehors de nos rôles sociaux et intimes ? La plupart des courtes compositions tournent autour de cette question et appellent à adopter un rythme à contre-courant de la frénésie ambiante. Ces problématiques, exploitées avec finesse et autodérision, sont bien ancrées dans les questions que l’on se pose actuellement en tant que société. Le monde du travail connait depuis quelques mois sa petite révolution avec l’arrivée, sur le marché, d’une génération qui tend justement à défendre le bien-être individuel et collectif aux dépens d’un labeur vide de sens. La scénographie adoucit pourtant ces problématiques et dirige notre attention sur l’objectif du spectacle qui, le temps d’une soirée, invite à s’arrêter et à reconnaître ce qu’il y a de sacré dans une rencontre. Sous le couvert d’un partage méditatif, un spectre d’expériences uniques se crée dans la salle.

crédits photos : David Wong

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