Se rapprocher

elisabeth_carecchio
18.03.2016

Ça ira (1) Fin de Louis, une création théâtrale de Joël Pommerat ; dramaturgie de Marion Boudier ; scénographie et lumière d’Éric Soyer ; son de François Leymarie ; costumes et recherches visuelles d’Isabelle Deffin ; perruques d’Estelle Tolstoukine ; conseils historiques de Guillaume Mazeau ; collaboration artistique : Marie Piemontese ; avec Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Éric Feldman, Philippe Frécon, Yvain Juillard, Anthony Moreau, Ruth Olaizola, Gérard Potier, Anne Rotger David Sighicelli, Maxime Tshibangu, Simon Verjans et Bogdan Zamfir ; ainsi que les forces vives : Nicolas d’Arros, Roxane Babinska, Christian Bordeleau, Danielle Beauchemin, Louise Boyer, Maud Cucchi, Jean-Guy Daigle, Florent Gascon, Jean-François Leclerc, Francine Le Tourneux, Jonathan Lorange, Daniel Marcoux, Ana Pranjic, Michel-Antoine Renaud, Jean Émerie Robichaud, Nicolas Rosenfield, Denis Samson et Stéphanie St-Jean Aubre.

Une production de la compagnie Louis-Brouillard, en coproduction avec le Théâtre français du CNA, Théâtre Nanterre-Amandiers, le manège.mons/Scène transfrontalière de création et de diffusion, Mons 2015/Capitale européenne de la Culture, Théâtre National/Bruxelles, Festival MIT/Sao Paulo, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg, MC2/Maison de la Culture de Grenoble, La Filature/Scène nationale de Mulhouse, Espace Malraux/Scène nationale de Chambéry, FACM/Festival théâtral du Val d’Oise, L’apostrophe/Scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise, Le Volcan/Scène nationale du Havre, Le Rive Gauche/Scène conventionnée de Saint-Étienne-du-Rouvray, Bonlieu/Scène nationale d’Annecy, le Grand T/Nantes, Scène nationale de Bayonne et du Sud-Aquitain ; présentée au Théâtre français du Centre national des Arts (Ottawa) du 16 au 19 mars 2016.

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En décembre dernier j’ai lu quelque part, non sans surprise, qu’«[o]n avait pas vu la compagnie de Pina Bausch à Montréal depuis 30 ans». Sans être fausse, cette assertion embarrassée d’œillères semblait vouloir oublier que Tanztheater Wuppertal, avant la venue en 2014 de Vollmond, s’était pourtant produite à au moins trois reprises au Centre national des Arts pendant cette soi-disant période de disette; avaient été présentés Masurca Fogo (en 2004), Nefes (en 2007) et Danzon (en 2011) dans la capitale qui n’est pourtant qu’à quelques dizaines de kilomètres de la métropole québécoise. Si proche mais si loin, semble-t-il…

Devenue, au fil des ans, une régulière du CNA, la famille de la danseuse allemande débarque périodiquement sur les planches de la société de la Couronne, et il en est de même de Joël Pommerat que le Théâtre français, depuis quelques années, non seulement accueille mais accompagne, pourrait-on dire, en se faisant coproducteur de ses imposantes productions, ce qui implique notamment de les mettre au programme avant même qu’elles aient pris forme. Ce fut le cas en 2013 avec le magistral La réunification des deux Corées – qui demeure, à ce jour, l’un des plus beaux spectacles auquel il m’ait jamais été donné d’assister –, tout comme ces jours-ci le plus récent opus de Pommerat, Ça ira (1) Fin de Louis, qui a été créé à Mons en septembre dernier, est présenté en exclusivité canadienne à Ottawa.

Notons, enfin, qu’il s’agit de la seconde fresque historique mise à l’affiche par le Théâtre français dans le cadre de la présente saison, la première étant Five Kings où Olivier Kemeid reprenait les deux tétralogies formant le cycle des monarques shakespeariens afin de «rapprocher» ceux-ci, «les amener au plus près de nous», expliquait l’auteur, et ainsi mettre en scène l’histoire de notre chute. Joël Pommerat, quant à lui, a décidé de présenter – dans le sens de rendre présente – la Révolution française où le roi constituerait «une énigme autour de laquelle gravitent tous les personnages qui s’interrogent sur ses intentions, cherchent à les orienter ou simplement à les interpréter».

 

On connaît la chanson

Il nous est en effet possible de marmonner deux ou trois lignes de l’hymne révolutionnaire ayant inspiré le titre du spectacle, tout comme nous ne sommes pas sans avoir une bonne idée de la trame qui le sous-tend. Mais si ce récit semble aussi le nôtre, c’est moins parce que nous avons un jour (pas si lointain) colonisé quelques arpents de ce puissant empire, et davantage parce que certains faits paraissent plus naturels qu’historiques tellement ils se répètent. Faut-il que je mentionne, en ce sens, qu’au moment où j’écris ces lignes on annonce l’arrestation de l’ancienne vice-première ministre du Québec ?

Au menu : fraude, corruption et complot, entre autres choses. Aussi le spectacle s’ouvre-t-il sur le désir de l’élite de résoudre les problèmes financiers qui menacent apparemment le pays, formules avec lesquelles on nous bombarde ardemment ces temps-ci : «maladie de notre dette», «déficit insupportable», ainsi va le «chantage permanent de la faillite» dont les gouvernements font une fois de plus leur ritournelle. Le spectacle se déploiera alors autour des idées et des sentiments qui animent les mouvements sociaux ayant mené à l’événement que l’on sait.

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Pommerat se garde bien, cependant, de trop appuyer les concordances, et pour cette raison – et quelques autres – gagne absolument son pari de «faire ressentir le passé comme si c’était du présent», peut-on lire dans le dossier pédagogique du spectacle; dans Ça ira, l’histoire n’est pas actualisée mais détemporalisée. Elle se répète, certes, mais ne quitte pas tout à fait la France : le Théâtre du CNA, de par sa forme circulaire et ses rangées de sièges relativement inclinées que délimitent des boiseries, ressemble beaucoup plus à l’Assemblée nationale française qu’à nos parlements, c’est un fait; dans cette arène, ça chahute, ça crie (beaucoup), ça gueule et les membres des trois classes sociales s’expriment avec une verve que nos politiciens n’ont pas eue très longtemps. Et cette fougue se manifeste également dans le jeu de la trentaine de comédiens et «forces vives» (gens de la région qui complètent la distribution) se déplaçant sans cesse sur scène et surtout dans la salle afin de donner au spectacle une charge physique qui fait totalement croire aux assemblées citoyennes les plus animées, indisciplinées, violentes aussi; à l’intérieur comme à l’extérieur ça grouille, ça gronde, et parfois ça explose.

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Voilà donc Pommerat assez loin des ambiances plus mystérieuses, voire oniriques auxquelles il nous a habitués. Mais en même temps, fidèle à lui-même, il ne manque pas de continuer de nous faire redécouvrir, comme lorsqu’il travaille à partir de contes pour enfants – notamment Le petit chaperon rouge, Pinocchio et Cendrillon –, une autre histoire pourtant connue. Puis on le retrouvera au détour d’une ou deux scènes – dont la toute dernière, tout simplement envoûtante – plus empreintes de son esthétique habituelle s’appuyant notamment sur des airs musicaux connus qui confèrent aux tableaux une aura à la fois intime et immense.

Pour Pommerat, «le théâtre est un lieu de simulacre et d’expérience collective extraordinaire, mais [celui-ci] ne pense pas qu’il soit potentiellement un lieu plus politique que d’autres types de rassemblement d’individus». Si mes quelques mots ne peuvent rendre justice à toute l’ampleur de Ça ira dont la trame de fond est justement la question politique, puissent-il au moins, je l’espère, inciter les gens de la capitale et d’ailleurs à se réunir autour de cet objet profondément vivant; c’est ici une chance inouïe que nous avons de pouvoir nous rapprocher de l’œuvre d’un des plus illustres artistes de la scène actuelle.

crédit photos : Elisabeth Carecchio

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