Revenir au point zéro

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16.11.2017

Éric Palmondon, Donnacona, Montréal, Le Quartanier, 2017, 128 p.

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En 2011, quand est paru au Quartanier Hongrie-Hollywood Express d’Éric Plamondon, un roman par fragments tout aussi brillant que délectable, personne ne pouvait s’attendre à l’engouement qui en découlerait. Six ans plus tard, Plamondon est l’un des invités d’honneur du Salon du livre de Montréal et fait paraître son cinquième livre.

Avec Donnacona, un recueil de trois nouvelles, Éric Plamondon revient sur le territoire de l’enfance. Il y fréquente le lieu des transformations, du passage à l’âge adulte. Alors que la trilogie 1984 (Hongrie-Hollywood Express, Mayonnaise, Pomme S) cartographiait l’Amérique par le biais des destins de l’acteur Johnny Weissmuller, de l’écrivain Richard Brautigan et de l’entrepreneur Steve Jobs, les plus récents livres de Plamondon transposent ces errances en contrées québécoises, un retour au bercail pour un jeune de Donnacona désormais expatrié à Bordeaux, en France.

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« Je crois que c’est justement l’exil qui m’a poussé inconsciemment au départ à revenir vers ces questions de territoire, vers l’Amérique dans un premier temps, et bien sûr, vers le Québec. C’est ce qui relie la trilogie 1984 et les trois nouvelles de Donnacona. C’est comme si l’éloignement m’avait donné un pas de côté, une vision différente, et quand je te dis que c’est inconscient c’est que lorsque je me mets à écrire ce retour au pays n’est pas particulièrement voulu, mais l’écriture, chaque fois, me ramène ici, chez nous. »

Si cinq livres en six ans peuvent sembler un rythme d’écriture presque effréné, il faut garder en tête que Plamondon a attendu jusqu’à l’âge de quarante ans avant de publier son premier roman. Reste que depuis, il n’a pas perdu de temps. « Le blocage c’est le premier roman, ce fameux premier roman […]. Tu réalises que ce n’est pas le premier roman, mais que le premier roman, que tu n’es pas obligé de tout dire dans celui-là, que tu peux en écrire d’autre après. »

Dans Donnacona, on retrouve la novella Ristigouche, qui avait été publiée dans la collection Nova, célébrant les dix ans des éditions Le Quartanier. Il s’agissait-là d’un premier texte qui permettait de réfléchir à l’après-trilogie. Il faut dire que le succès de cette dernière aurait eu de quoi paralyser tout écrivain, les trois titres ayant été finaliste au Prix des libraires du Québec, alors que le deuxième tome de la série, Mayonnaise, fut aussi finaliste au Prix France-Québec, au Prix littéraire de collégiens ainsi qu’au Grand Prix du livre de Montréal.

 

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« Ce texte-là est d’autant plus important qu’il est parvenu à m’amener de la trilogie à autre chose, même si au moment de l’écrire je ne savais pas c’était quoi cette autre chose-là, je ne savais pas que Taqawan allait exister. Mais en tant qu’écrivain, tu as toujours envie d’écrire autre chose. » Autour de la mort de la mère, Plamondon brode une nouvelle moins fragmentée et plus narrative où il joue habilement avec les registres et les arcs narratifs. La métaphore qu’il parvient à tisser avec un cachalot échoué sur les rives du Saint-Laurent se transforme en un clin d’œil efficace à Melville. Bien que publié après Taquawan, le quatrième roman de Plamondon, il s’agit quand même bien d’un texte important dans l’évolution de l’œuvre de l’auteur.

« L’écriture des moments plus narratifs de Taqawan s’est imposée un peu toute seule, en sachant que j’avais ma routine d’écriture, et à certains moments j’ai commencé à me laisser aller dans certains chapitres quand ça prenait et à suivre encore plus mes personnages. Alors que dans la trilogie, avec Johnny Weissmuller, Richard Brautigan et Steve Jobs, j’avais là un cadre plus strict, dans Taqawan, j’avais de réels personnages de fictions qui m’ont tiré avec eux dans l’écriture.» 

 

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Lorsqu’on contextualise la trilogie, on voit à quel point le roman biographique, rappelant le biopic qu’on remarque de plus en plus au cinéma, n’était pas encore aussi populaire qu’il l’est maintenant. Si Plamondon souligne que la parution de Hongrie-Hollywood Express concordait avec la fin de la trilogie de Jean Echenoz sur Maurice Ravel, Emil Zátopek et Nikola Tesla, on n’était pas encore confronté à la manne qu’on peut présentement voir en librairie aujourd’hui. On n’a qu’à penser au roman de Laurent Seksik (Les derniers jours de Stefán Zweig, Le cas Edouard Einstein, Romain Gary s’en va en guerre) ou encore le Je vous écris dans le noir de Jean-Luc Seigle, consacré à Pauline Dubuisson.

« J’adore revenir toujours à la source, au point zéro d’une histoire. Ce que je recherche quand je pose la première brique dans un roman, une première phrase, c’est le réseau de liens qu’elle peut créer, l’ensemble des possibles qu’elle peut déployer par rapport à la fiction qui reste encore à lire. Ça laisse ainsi aux lecteurs différentes surprises à découvrir, […] à l’écrivain plusieurs pistes à emprunter.»

Ce que Plamondon aime dans le roman biographique, c’est une chronologie fixe dont il peut se jouer. Si les personnages suivent une ligne narrative stable ponctuée de dates marquantes, les liens entre elles sont à inventer et c’est là que se trouve l’espace de création, le terrain de jeu de l’écrivain. Il peut, dès lors, se mettre à broder. Cette écriture biographique aura chez lui eu l’effet de toujours l’amener à chercher la genèse de chaque personnage, question de déployer devant lui les multiples arcs narratifs imaginables, laissant tant aux lecteurs qu’à l’écrivain un ensemble de possibilités. 

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