Portrait of an artist (Pool with two figures)

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26.09.2018

L’art de la chute, une production de Nuages en pantalon en codiffusion avec La Manufacture ; texte et scénario : Véronique Côté, Jean-Michel Girouard, Jean-Philippe Joubert, Simon Lepage, Danielle Le Saux-Farmer, Marianne Marceau, Olivier Normand et Pascale Renaud-Hébert avec la collaboration au scénario de Claudia Gendreau et Valérie Laroche ; mise en scène et direction de la création : Jean-Philippe Joubert, avec Jean-Michel Girouard, Simon Lepage, Danielle Le Saux-Farmer, Marianne Marceau et Pascale Renaud-Hébert ; coordination de la création : Caroline Martin ; espace scénique, costumes et accessoires : Claudia Gendreau ; assistance à la scénographie et régie de plateau : Claudelle Houde-Labrecque ; éclairages : Maude Groleau ; environnement sonore et musique : Josué Beaucage ; vidéo : Jean-Philippe Côté ; programmation technique : Marc Doucet.

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On apprenait récemment que, si la toile mythique de David Hockney (Pool with two figures, 1972) obtient les quatre-vingts quelques millions que vise la maison new-yorkaise Christie’s pour cette vente aux enchères, le peintre britannique deviendra ainsi celui ayant récolté la plus grosse cagnotte suite à la vente anthume de l’une de ses toiles. Au cours des même dates, la maison d’édition française Globe faisait paraître le monstrueux roman versifié de l’italien Stefano Massini, La chute des frères Lehman, qui porte sur le destin de ces deux bavarois depuis leur arrivée en terre américaine le 11 septembre 1844 jusqu’à l’effondrement de leur empire financier le 15 octobre 2008, au plus creux de la crise des subprimes. En écho à cette parution, la semaine dernière, la compagnie Portrait-Robot foulait les planches du Périscope, à Québec, avec une adaptation théâtrale de 4h30 du projet de Massini. Ce même théâtre de la vieille capitale avait reçu L’art de la chute l’année dernière, une pièce qui, forte de son succès, a fait son entrée sur la scène montréalaise dans les derniers jours.  On y aborde les liens pernicieux entre la spéculation boursière, le monde de la finance et celui de l’art contemporain. Moins de dix ans après l’effondrement des marchés, il semble maintenant évident qu’on y voit là un mythe fondateur : Wall Street en est l’acropole moderne et le plus quidam des courtiers y devient le plus rusé des Prométhée.

Avec L’art de la chute, la compagnie Nuages en pantalon propose un ambitieux projet qui n’est pas sans rappeler The Big Short, ce film hollywoodien basé sur l’essai éponyme de Michael Lewis. Mettant en vedette Ryan Gosling, Steve Carell, Brad Pitt et Christian Bale, le long métrage portait sur les enjeux pernicieux de la crise financière de 2008. Sujet d’actualité, la finance n’est pourtant pas un objet artistique des plus attirant, sans oublier que le manque de littératie économique et financière du grand public en général risque d’adjoindre son lot de pédagogie à un tel projet. Malgré un chantier si vaste, Jean-Philippe Joubert et sa troupe ont plongé dans ces univers aussi fascinants que cliniques, aussi tragiques que froids, pour en ressortir avec deux heures quarante de spectacle où se lient petits et grands enjeux.

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Fuck Wall Street

Alice, artiste visuelle reconnue pour ses sculptures en cuivre, se voit remettre une bourse du Conseil des arts et des lettres du Québec qui l’envoie dans un studio du Québec à Londres où elle renoue d’amitié avec Laurence, employée chez Lehman Brothers. La pièce débute alors que Laurence dégote une paire de billets pour assister à une soirée de mise aux enchères où seront mises en vente différentes œuvres de l’artiste Damien Hirst, un évènement qui fera marque dans l’histoire de l’art contemporain. Cependant, personne ne sait encore qu’en en ce même jour, Laurence perdra son travail, que les marchés s’effondreront – et que certains amasserons quelques sommes faramineuses sur le dos de la crise. Entre Laurence, récemment au chômage, et Alice, qui découvre à Londres tant le monde de la finance que celui de la spéculation en art contemporain, on découvre Gregory Monroe, jeune requin de la finance, consommateur d’art, pour qui la crise a été salvatrice pour son compte en banque. Alice s’en amourache avant de le suivre à New York pour y découvrir les dessous de milieux qui lui sont totalement inconnus.

Présenté en deux parties, L’art de la chute parvient, dans un premier temps, à embrasser pleinement – et de la plus ludique des façons – le mandat pédagogique dont la pièce ne pouvait se dispenser pour parvenir à faire progresser son histoire sans perdre les deux tiers de la salle. C’est ainsi que l’un des comédiens use d’une chanson de Lady Gaga pour nous expliquer le fonctionnement d’une police d’assurance et qu’une autre nous détaille les subprimes – ces papiers commerciaux à la base de la crise économique de 2008 – en établissant un parallèle avec le latte à la citrouille. Si l’économie de moyens et les intermèdes emménagés entre les lignes narratives se marient très bien lors de la première partie de la pièce, on excuse certains déplacements scéniques plus laborieux et une certaine redite dans la mise en scène. Mais c’est vraiment après l’entracte que le bât blesse : lorsque l’histoire d’amour entre l’artiste et le trader vire au vinaigre, que cette dernière propose une exposition s’intitulant Fuck Wall Street, on sait très bien, après quelques minutes, comment tout cela va finir, et on se dit que, si cette première partie a servi à mettre la table pour ça, nous avons alors peut-être perdu notre temps.

Car si on sort du théâtre assurément moins niaiseux, ce qui est déjà énorme et on se doit de le souligner, on demeure avec cette impression que la faiblesse narrative avec laquelle est racontée la chute inéluctable d’Alice et son désenchantement du milieu de l’art est d’une évidence qui rallonge la proposition, qui l’alourdit même. Si les aspirations de L’art de la chute sont ambitieuses, force est de constater qu’elles ne suffisent pas complètement, en fin de compte, à assurer la réussite de l’ensemble. On a l’impression d’assister à deux pièces distinctes et, autant parfois les propositions de la mise en scène sont surprenantes, autant le coté convenu de certaines autres déçoit. Si on reste épaté de la quantité d’informations qu’on parvient à véhiculer au spectateur, qui en sort plus éclairé sur les tractations financières se cachant derrière la valeur marchande de certains grands artistes contemporains, L’art de la chute ne semble jamais trouver le juste milieu entre storytelling et théâtre documentaire.

crédits photos : Vincent Champoux

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