L’amour, toujours

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Hurlevents, texte de Fanny Britt ; mise en scène : Claude Poissant ; avec Alex Bergeron, Kim Despatis, Benoît Drouin-Germain, Florence Longpré, Emmanuelle Lussier-Martinez et Catherine Trudeau ; scénographie : Patrice Charbonneau-Brunelle ; costumes : Linda Brunelle ; présenté au Théâtre Denise-Pelletier (Montréal) du 31 janvier au 24 février.

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Difficile de ne pas voir de liens entre Hurlevents et La meute : deux vengeances de femmes – l’une par amour, l’autre par colère –, deux pièces moralement ambiguës et en phase avec leur époque, qui confrontent la violence (verbale, psychologique, physique, systémique) faite aux femmes. Deux pièces qui, de leur monologue initial jusqu’au retournement final, tissent patiemment un drame intimiste sur fond de question sociale.

Dans Hurlevents, tout est déjà annoncé dans ce qui se présente comme un prologue, alors qu’on assiste au premier cours de la session et qu’une professeure, Marie-Hélène, annonce à ses étudiants (parmi lesquels Émilie, Isabelle et Édouard) les trois grands enjeux de Wuthering Heights d’Emily Brontë (roman duquel Britt s’est librement inspiré) : c’est une histoire de passion qui tourne mal et un crime d’amour reste toujours inexcusable. Comment résoudre la tension entre l’absolu amoureux, la passion, le désir et la violence ? 

Archétypes et clichés

Fanny Britt navigue en eaux troubles : les personnages sont des archétypes qui défendent des idéaux (« nos propos de marde sont notre responsabilité », « on est pas nos valeurs », « ta vie est unique, mais ton expérience est collective ») et des conceptions différentes de l’amour. Émilie, contaminée par l’histoire d’Heatcliff et de Catherine comme Emma Bovary l’était par les romans d’amour à l’eau de rose, rêve d’un amour trop grandiose pour le monde réel ; Isabelle, Édouard et, dans une certaine mesure, Marie-Hélène, doivent confronter leurs valeurs et leurs conceptions théoriques du monde avec des réalités concrètes ; Catherine et Falaise, la sœur d’Émilie et son chum, s’aiment d’un amour absolu, mais qui s’exprime mal.

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Travailler avec des archétypes a l’avantage de proposer des enjeux clairs, mais les répliques prennent parfois l’allure d’un débat d’idées qui alourdit la progression narrative. Britt tente jusqu’au bout de placer les personnages en face de leurs contradictions en mettant à l’épreuve les idéaux théoriques qu’ils portent. Le portrait du milieu universitaire est juste assez caricatural pour faire rire (même si le propre de l’archétype est de parfois flirter avec le cliché, notamment le décalage entre les « intellos de la ville » et les « paumés de la campagne »), mais il sert surtout à aborder des enjeux dans l’air du temps : une relation amoureuse égalitaire est-elle possible entre un(e) professeur(e) et son étudiant(e) ou s’agit-il nécessairement d’abus, parce que les structures de pouvoir dépassent inévitablement l’agency des personnes en cause ? Certains reprocheront à Britt de ne pas trancher entre ces deux positions, d’autres lui seront gré de se contenter de remarquer que les deux positions, peut-être moralement défendables, sont irréconciliables tant d’un point de vue théorique que pratique.

Mais ces questions sont finalement noyées dans l’efficacité comique redoutable des dialogues (notamment tout ce qui entoure le code utilisé par Émilie et ses amis, qui régit l’emploi des anglicismes) livrés par des acteurs en contrôle de leurs moyens (malgré l’inévitable nervosité de la première). On en vient presque à oublier les enjeux éthiques, les questions de dénonciation et d’accusation étant elles-mêmes évacuées par le récit au profit de la résolution du drame orchestré par Émilie.

Le récit est un peu cousu de fil blanc et certaines intrigues, surtout celle de Catherine et Falaise (ce couple qui débarque au souper comme un cheveu sur la soupe), sont moins prenantes. Le retour du roman de Brontë vers la fin de la pièce est également plus forcé. Fallait-il qu’Émilie expose aussi clairement l’analogie entre les couples Catherine/Falaise et Catherine/Heatcliff ? Fallait-il faire revenir les comédiens en habits victoriens pour livrer les dernières répliques ? À ce compte, on aurait peut-être dû assumer le choix jusqu’au bout et changer tant le registre de langue que le jeu, pour marquer plus fortement la contamination des personnages par le roman ; dans l’état actuel, la référence paraît davantage plaquée que significative. (Mettons carte sur table : peut-être que ce retour spectral de Wuthering Heights m’est apparu forcé parce que je n’ai pas lu le roman de Brontë. Le résumé thématique offert dans le prologue me paraissait amplement suffisant pour saisir les enjeux et les analogies.)

Une parole qui résonne peu

La mise en scène est à l’avenant. Si on salue l’arrivée successive des personnages comme des spectres surgissant de la tempête, les entrées et sorties se font plus laborieuses vers la fin ; alors que l’enchaînement des scènes s’accélère, le rythme du spectacle en souffre. Peut-être que le théâtre Denise-Pelletier n’était pas le meilleur endroit pour porter cette parole : la configuration de la salle est réduite (plusieurs rangées de sièges sont fermées) et la scénographie place les comédiens dans une boîte aux murs à angles convexes, comme pour contrer au maximum la grandeur de la salle. Malgré tout le bon vouloir des concepteurs et le talent des comédiens, quelque chose ne prend pas dans cet espace trop vaste, pas assez habité, où la force des répliques n’arrive pas à s’imposer ; on se plaît à rêver à comment le texte aurait pu être rendu dans un espace plus intime.

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Alors que le texte de Catherine-Anne Toupin tirait justement profit de la proximité avec le public qu’impose La Licorne, la pièce de Fanny Britt, moins politique mais auscultant mieux les tiraillements de l’amour, se perd dans l’immensité de la salle même si, paradoxalement, ses personnages adressent des monologues déchirants à la face du monde.

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