La logique du pistolet

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13.03.2018

Sophie Dupuis, Chien de garde, Bravo Charlie, 2018, 87 minutes.

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Offrir un rôle à Théodore Pellerin, lorsqu’on est encore cinéaste débutant, conscrit, béjaune, dents de lait ou duvet au menton, c’est jouer son film à la roulette russe. Un rapide calcul des probabilités rassure (une apparition remarquée dans Les démons, des rôles de choix dans les courts métrages La course navette et Sigismond sans images : décidément il est bon dans tout, le Pellerin), mais le risque demeure que sa force centripète aspire le reste du film, la distribution, le bébé et l’eau du bain, bref, toute la satané entreprise.

Il faut savoir tempérer et canaliser les ardeurs des comédiens de sa trempe. Tout en s’occupant de celles et ceux qui leur donnent la réplique : sinon, voyez-les se dépêtrer comme des diables dans un bénitier, à essayer d’être à niveau. Mais Pellerin n’est pas du genre à faire cavalier seul, il joue avec écoute et générosité. Rien de m’as-tu-vu chez-lui, même s’il bouffe l’écran avec un appétit tel qu’il ne laisse aux autres que des miettes. Une longue feuille de route et un talent certain sont des préalables si on souhaite en faire un atout et non un handicap, particulièrement lorsqu’un film n’est pas l’affaire d’un seul personnage.

Chien de garde est le deuxième de trois films dans lesquels Pellerin tient présentement la tête d’affiche. Coqueluche, vous dites? C’est qu’il jure, le Pellerin, d’abord en assumant une corporalité autrement abhorrée chez les acteurs de la province. Le corps made in Quebec est généralement gauche, pesant ou mollasse, effacé. Abordé frontalement, celui-ci est représenté dans ses extrêmes grotesques (Louis Cyr : L’homme le plus fort du monde, Ta peau si lisse). Le jeune acteur détonne avec sa silhouette d’échalote et son coco rasé. Son visage frappe – élancé, de forme ovoïde, flanqué d’une paire d’yeux sombres et dilatés, marqué par des lèvres charnues quant à elles dominées par un nez de boxeur. Est-il beau, laid? Disons plutôt qu’il transcende les canons de beauté et rejoint les Adam Driver et Kristen Stewart dans ce groupe sélect d’êtres que l’on se plait tout simplement à regarder. S’il est en soi un cas à part dans notre cinéma, ce n’est pas tout, puisqu’il faut à l’écran témoigner d’autre chose, d’une intensité, d’une présence. Dans ce premier film de Sophie Dupuis, il bouge constamment, se tortille, gigote, serre, frappe. Son approche relève davantage de l’art performatif (ça aide lorsqu’on est le fils de la danseuse et chorégraphe Marie Chouinard) sans les mimiques gênantes d’usage. Même s’il joue gros, il demeure subtil, mesuré, en contrôle. Si tout lui réussit, il aurait été particulièrement exceptionnel en toxicomane dans un Schlesinger ou en voyou irascible dans un Scorsese.

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Du Scorsese, il y en a partout dans Chien de garde, celui des tous premiers films avec Harvey Keitel pour émule, moins la métaphysique. Le personnage qu’interprète Pellerin, l’impétueux Vincent, est d’ailleurs une version millenial – fan des Dead Obies, atteint de TDAH – du Johnny Boy que De Niro avait si brillamment interprété dans Mean Streets. Vincent est l’arrière-petit-fils de James Cagney l’amoral, un formidable personnage de cinéma, qui ne pas tient en place, volubile jusqu’à l’apoplexie, amoureux fou de sa mère, bariolé de tatouages, l’œil de travers, qui pourrait fomenter un mauvais coup si seulement il était capable d’organiser quoi que ce soit dans sa vie. Il est le meilleur élément d’un film aux qualités nombreuses, mais qui entretient un rapport trouble avec le réel.

Verdun Love

JP (Jean-Simon Leduc) et Vincent sont deux frères collecteurs de dettes – de jeu, de drogue – pour un oncle (Paul Ahmarani) propriétaire d’un bar de Verdun. Ils habitent chez leur mère monoparentale (Maude Guérin) affectueuse mais fragile, alcoolique en sevrage. La blonde de JP (Claudel Laberge) tente de convaincre ce dernier de déménager avec elle, loin de cet environnement toxique où les claques sur la gueule côtoient les fous rires et les gestes d’affection. L’oncle véreux proposera aux deux frères une mission dangereuse. Les teste-t-il ou cherche-t-il à s’affranchir d’un travail qu’il n’a pas le courage d’accomplir? Ses airs de bravades et ses menaces laissent dubitatif. JP résiste, tient tête du mieux qu’il peut. Vincent, lui, jubile à l’idée prouver qu’il en a de la graine, et pas seulement de petit voyou. L’enjeu est clair, soit JP sauve sa peau et ainsi condamne son frère, beaucoup trop instable pour survivre dans ce milieu impitoyable, soit il continue d’accomplir à reculons son rôle de protecteur.

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Plus près du drame familial que de la chronique sociologique – la mise en contexte y est quasi inexistante – Chien de garde travaille dans un registre hybride, à cheval entre un naturalisme nerveux et un cinéma de genre assumé. Quelques scènes sont magnifiquement mises en scène (un matin en famille, une fête entre amis, une soirée de rap battles) et possèdent cette rugosité qui maintient le spectateur les fesses serrées sur son siège. Autrement, un kitsch suranné (les chemises de dragon d’Ahramani, la présence de Marjo, les tounes de Boule noire) ramène à une conscience de la fiction en cours. Des répliques fourre-tout, d’une pesanteur accablante et résumant tel ou tel personnage, (« Moi j’me marie à ma famille », c’est bon, on a compris) dénotent aussi un manque de confiance dans l’écriture. Et il y a ces guns, qu’on ne voit presque jamais dans notre cinéma. Les fusils de chasse, ça passe encore, mais du flingue, du genre qu’on se planque sous la ceinture, ça surprend. Ces petits instruments de mort, absorbant ou reflétant la lumière, sont grotesques et font basculer le film dans un registre plus convenu.

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Tant qu’il y aura Pellerin

Il est rare dans notre cinéma d’être convaincu de se trouver devant une nouvelle manifestation de quelque chose qui se rapproche du génie. La dernière fois qu’un engouement semblable s’est emparé du milieu, c’était à la sortie de J’ai tué ma mère il y bientôt dix ans. L’ascension vertigineuse du jeune acteur finira d’accomplir sa trajectoire sous l’égide de Netflix, pour le compte de la série fantastique The OA.

Pour ma part, je suis convaincu qu’il peut tenir des mitraillettes ou jouer les superhéros sans avoir l’air ridicule.

 

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