Je te donne mon soleil, ma planète qui bat

Rehearsal - Frontera
05.12.2019

Frontera, Chorégraphie et direction : Dana Gingras ; Créé avec et interprétée par : Robert Abubo, Léna Demnati, Stacey Désilier, Caroline Gravel, Louise Michel Jackson, Justin de Luna, Mark Medrano, Sovann Rochon-Prom Tep, Koliane Rochon-Prom Tep, Lexi Vajda ; Merci aux interprètes qui ont fait partie intégrante du processus de création : Ellen Furey, Esther Rousseau-Morin, Paige Culley ; Concept visuel et scénographie : United Visual Artists ; Musique en direct : Fly Pan Am ; Enregistrement de terrain : Dave Bryant ; Dramaturgie : Ruth Little ; Assistante de la chorégraphe et répétitrice : Sarah Williams ; Costumes : Sandra Richefort ; Producteur exécutif : Centre de Création O Vertigo; Coproduction : Animals of distinction. Présenté du 4 au 7 décembre 2019 au Théâtre Maisonneuve.

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Musique post-rock, art visuel et danse sont au rendez-vous dans la dernière pièce chorégraphiée par Dana Gingras, où le thème omniprésent de la frontière est traité par le biais d’une convergence entre différentes disciplines artistiques. Toute l’œuvre est traversée par cette thématique (à l’appui, un texte en bande sonore), avec la conscience d’une artiste aux nombreuses appartenances et aux multiples horizons, qui enrichit ici son œuvre en l’engageant dans les questionnements contemporains de l’ère Trump, celle du bâtissage de murs entre nations et des migrations internationales (et le racisme, la mysogynie, les intolérances en tous genres qui la caractérisent). Frontera se divise en quatre parties bien distinctes, quatre pièces musicales, dont deux rapides et deux lentes, intercalées entre elles. Le style musical du groupe Fly Pan Am, que nous pouvons réentendre sur scène après 15 ans de silence, trouve une résonance fougueuse dans le talent et l’exaltation des danseurs.

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Tous libres

On retiendra surtout de Frontera qu’elle prend la forme d’une danse que les interprètes ne peuvent pas éviter : les percussions scandent, et donnent à la gestuelle sa pulsion dans les pieds et dans le cœur. C’est en fait une œuvre d’une grande exigence en terme de cardio, surtout lors des compositions rapides, dans lesquelles l’utilisation de l’éclairage comme accessoire de décor se conjugue avec une gestuelle sans flaflas (des « tableaux » de groupe seront créés dans les orchestrations plus lentes) constituée de marche, de course, de sauts, de chutes, de pivots.

On serait tenté de voir dans ces scènes rapides une structure un brin décousue si les danseurs ne répondaient pas si bien aux musiciens qui se trouvent derrière eux à l’arrière-scène, et qui guident leurs mouvements. Il ne faut pourtant pas s’y tromper : le motif principal de la gestuelle rapide s’inspire de la discipline sportive du parkour, discipline appelée également « art du déplacement », et qui consiste à franchir des obstacles de terrain sans l’utilisation d’accessoires. En situation dansée (et sur une scène dépouillée d’obstacles), l’influence de cette discipline peut revêtir l’apparence du « street dance » : état de corps nonchalant, réflexes rapides, esquives et chutes, appui des mains au sol, etc.

C’est donc dans un apparent chaos que se déploient les pièces rapides, qui sont probablement les plus réjouissantes, puisqu’elles font vivre au spectateur l’ampleur kinesthésique du show de post-rock qui est en cours. Comme dans tout show par ailleurs, sur scène, la liberté et l’individualité règnent. Sont découverts et défiés les frontières, la lumière, l’autre, les limites du corps et de la scène dans un certain chacun-pour-soi ; on entre en contact en duo ou en duel, on forme des quartets et des quintets en laissant un danseur à l’écart avec des gestuelles inversées. Si on voyait là d’abord l’anarchie, de multiples brisures de ton sont pourtant de mise, prouvant combien le caractère involontaire de ce chaos est une fausse perception.

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Tous ensemble

Car ce que l’on s’apercevra finalement, c’est que tout l’ensemble répond d’une énergie commune. Dans les pièces plus lentes, on trouvera des tableaux formés par la totalité des danseurs. Le premier tableau utilise l’éclairage comme un élément actif ; un faisceau prend l’allure d’un scan menaçant qui balaie le sol où se trouvent couchés les interprètes, qui se rapprocheront tranquillement. Par ailleurs, sur la durée totale de la chorégraphie, le rôle de la lumière est double : un élément à fuir (comme les follow-spots), mais aussi un élément qui pousse les humains les uns vers les autres, une force qui survient parfois de l’intérieur, une chaleur (comme on le verra en finale).

Ainsi, un autre tableau de groupe, sous une douche lumineuse, prend la forme d’une chaîne humaine. Ce passage très lent semble pourtant traité plutôt superficiellement ; on comprend que l’image de la chaîne humaine qui se tire péniblement résout la question de la solidarité, mais elle laisse un peu plus froid que le reste. Vivement la reprise d’un tempo plus rapide, d’une image forte avec des éclairages sous forme de barreaux de cellule, pour que les danseurs jouent dans la lumière, la tête « dans » les barreaux, ou alors de la lumière plein les mains. Dans leur cellule, ils testent toutes les extrémités possibles, de l’éclairage jusqu’à l’élan d’une parole de plus en plus intempestive, en passant par la transe qu’induisent les musiciens qui les projettent à l’avant-scène, où la danse prend sa plus simple expression : chacun bouge sur la musique comme sur une piste de danse, avant que la scène ne se vide. Et la finale, une véritable trouvaille, un pur bijou, incarne la convergence même des corps.

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crédits photos: Adrian Morillo

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