God Save Philippe Falardeau

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16.10.2015

Guibord s’en va-t-en guerre, un film de Philippe Falardeau, une production micro_scope, 2015.

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Comment ça va avec la douleur, Philippe? Celle d’être cloué sur la place publique depuis ta bête et naïve intervention lors de la visite de Stéfanie Trudeau, alias matricule 728, sur le plateau de Tout le monde en parle? Comprenons-nous : bête et naïve parce qu’évidente, allant de soi. Je veux dire, même Robocop avait des examens de conscience, pourquoi pas les policiers du SPVM? Depuis, quelques zélés sur les réseaux sociaux ont appelé au boycott pur et simple de ton dernier film, Guibord s’en va-t-en guerre, comme s’il s’agissait d’une œuvre infâme produite par un dégénéré, un fomenteur de troubles gauchiste, bref, un « osti de carré rouge ».

Il fallait bien que les émetteurs d’opinions tout inclus s’en mêlent. Sophie Durocher a décoché ceci dans un texte datant du 5 octobre dernier : « Philippe Falardeau est un intellectuel qui dans son film Guibord s’en va-t-en guerre cite les philosophes Jean-Jacques Rousseau et Socrate. Stéfanie Trudeau n’est qu’une ex-policière. Mais honnêtement, dimanche dernier, selon vous, qui a montré sa supériorité intellectuelle? » Prompte au clivage, Durocher en rajoute une couche en affirmant que l’émission « a montré le décalage qu’il y a entre une soi-disant ‘‘élite’’ et la majorité silencieuse, le gros de la population. »

Dix-huitième siècle, ici ou là en France, l’humaniste Jean-Jacques Rousseau passe la majeure partie de sa vie à se creuser la tête sur les principes de démocratie et d’égalité. Il deviendra l’un des penseurs les plus respectés et lus dans le monde. Plus récemment, au Québec, un quidam s’affuble d’un sac de patates sur la citrouille pour aller voter. Pour reprendre une Lumière, ou un 100 watts, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Pourtant, les premiers chiffres du box-office de Guibord sont encourageants, contribuant à montrer que cette majorité silencieuse peut bien répandre à tout vent son venin sur Facebook, au final elle n’est pas aussi majoritaire que certains le croient.

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Du bord à Guibord

Guibord s’en va-t-en guerre n’aurait pu atterrir sur nos écrans à un meilleur moment. Suivant les pérégrinations du député indépendant de Prescott-Makadewà-Rapides-aux-Outardes, Steve Guibord (Patrick Huard), le film est une comédie efficace à propos du souvent ridicule monde de la politique. Mais les visées de Falardeau ne se limitent pas qu’à tourner en dérision les travers de notre système fédéral canadien; elles sont tout autant, sinon plus, concernées par l’emprise du politique sur l’affirmation d’une morale personnelle. Guibord doit trancher quant à la participation du Canada dans une guerre (qu’importe laquelle). Plutôt habitué à servir de médiateur entre les travailleurs forestiers et la communauté amérindienne du coin, ou à inaugurer des gazébos, le personnage est incommodé par l’attention nationale accordée à ses positions, pour user d’un euphémisme. À ses côtés se trouve Souverain (Irdens Exantus), stagiaire de Port-au-Prince fraichement débarqué au Québec qui voit dans ce « dilemme cornélien » une belle fenêtre de « démocratie directe ». Guibord décidera alors de sonder la population de sa circonscription afin d’arrêter son choix. Celle-ci, cédant aux promesses d’un soutien économique du gouvernement au pouvoir, optera pour la guerre, tout comme la femme du député (Suzanne Clément), tandis que sa fille (Clémence Dufresne-Deslières) et sa propre conscience penchent plutôt pour une non-intervention.  

Guibord est une réussite parce que Falardeau a les moyens de ses ambitions. Le scénario décolle en trombe et ne ralentit qu’à de très rares moments. Lorsque l’humour n’est pas fin, il verse avec un plaisir contagieux dans le slapstick. L’univers créé et ridiculisé est à la fois dense et crédible. Et la distribution s’en donne à cœur joie.

Malgré tout, à certains moments, la satire s’aventure dans des zones grises et devient victime du syndrome Elvis Gratton. La satire est une arme à double tranchant. Pour qu’elle fonctionne, elle doit être comprise comme telle par le public. Lorsqu’elle ne passe pas, elle peut faire la promotion de ce qu’elle critique. Dans Elvis Gratton II : Miracle à Memphis, au moment où notre Canadien-américain-francophone-d’Amérique-du-Nord préféré reprend un journaliste africain sur la bonne prononciation des mots « barbotte » et « arbitre », est-ce qu’on rit de Gratton, du drôle d’accent de l’Africain, ou de la situation ridicule?

Une scène dans Guibord s’en va-t-en guerre témoigne de ce syndrome. Guibord, saoul comme une botte, caresse les cheveux crépus de Souverain avant de remarquer qu’ils sont plus doux que ce qu’il imaginait. À ce moment précis du film, il s’agit du premier véritable contact entre les deux hommes, Souverain n’ayant été auparavant qu’une arrière-pensée dans la tête du député. Falardeau rit bien évidemment de ce dernier, de cette curiosité étrange vouée à l’autre, polie mais tout de même déplacée, qui nous caractérise si bien. Mais de qui rions-nous, du colon saoul, de Souverain avec son regard médusé et son silence, ou de la situation ridicule?

Le rire est affaire d’instinct. Il n’est pas rare d’entendre un cinéaste avouer être surpris des moments où le public rit pendant un de ses films, comme si l’humour, souverain, réussissait à s’échapper avec désinvolture des intentions qui chercheraient à le contraindre.  Même si ce ne sera pas systématiquement aux bons endroits et pour les bonnes raisons, les gens riront durant Guibord s’en va-t-en guerre. En ces temps d’intolérance et d’imbécilité, c’est déjà mieux qu’un coup de matraque sur la tête. 

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