Finir bon premier

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07.09.2018

Festival du nouveau cinéma (47e édition), présenté à Montréal du 3 au 14 octobre 2018.

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À quoi reconnaît-on la valeur d’un festival de cinéma ? À sa grande affluence ? À la qualité et à la diversité de sa programmation ? Au nombre de ses premières ? Sur ce dernier critère de reconnaissance, le Festival du nouveau  cinéma (FNC) semble vouloir parier tout son petit change. Pour sa 47e édition, qui se tiendra du 3 au 14 octobre prochain à Montréal, le festival réclame que tous les films québécois de sa programmation, courts et longs métrages, soient au minimum des premières québécoises. Une règle adoptée il y a longtemps, m’a-t-on dit, mais appliquée rigoureusement depuis peu.

À vue de nez, aucune raison de s’offusquer. Les plus grands festivals du monde ne se font-ils pas farouchement compétition afin de mettre la main sur le dernier Dolan, le dernier Haneke ? Obtenir la première d’un film d’un cinéaste majeur attire les journalistes, les critiques, le public. À cet effet, Le FNC vient d’annoncer qu’il projettera en première québécoise le dernier film-événement de  Lars von Trier, The House that Jack Built, en plus de quelques films récompensés au dernier Festival de Cannes, dont la Palme d’or Shoplifters de Hirokazu Kore-eda. De jolis coups de filet pour lesquels il faut féliciter l’équipe de programmation du festival.

Mais la diffusion en festival du cinéma québécois devrait-elle être soumise aux mêmes diktats d’exclusivité, alors que nos films sont cruellement sous-diffusés en salle, tant à Montréal qu’ailleurs dans la province ? Comment un festival de petite ou moyenne envergure, par exemple, situé en région de surcroît, peut-il faire compétition avec le FNC ? Je reformule : comment envisager qu’un festival de petite ou moyenne envergure, situé en région de surcroît, puisse faire un tant soit peu d’ombre au FNC ? Des guerres de clocher, pour le dernier Sébastien Pilote ou le dernier Philippe Lesage, passent encore, mais pour des courts métrages ? Pour des premiers films de cinéastes encore inconnus?

Forcé de choisir, le cinéaste (« Hey, interjette-t-il, pourquoi ne pas présenter mon film dans tous les festivals qui veulent bien le programmer ? Non ? ») privilégiera sans doute Montréal, ville où son équipe technique, sa famille et lui habitent sans doute, l’écrasante majorité des films produits au Québec étant de Montréal (un autre bon sujet de texte, ça). Résultat : ces films payés avec (attendez, que je mette ma calotte de Radio X, je suis de Québec, tout de même) nos taxes se voient refuser de belles vitrines de diffusion en région pour une abstraction qui se réduira à une statistique dans le rapport de fin d’édition du FNC à ses subventionnaires.

Vous me suivez toujours ? Avant de vous perdre pour de bon, prenons comme exemple concret le dernier long métrage d’Olivier Godin, En attendant avril.

L’arbre, l’écorce et la Cinémathèque

Nonobstant ses qualités intrinsèques, tout le monde s’entendra pour dire qu’En attendant Avril est un petit film. Je vous apprends peut-être même l’existence d’Olivier Godin. D’un point de vue commercial, outre sa sélection dans quelques festivals – après le FNC, il va sans dire, qui aura sa première québécoise – il peut espérer, au mieux, une semaine ou deux d’exploitation à la Cinémathèque québécoise. Pourtant, deux festivals hors Montréal voulaient l’inclure dans leur programmation : d’abord les Percéides, qui se sont terminées en août dernier, puis le Festival de cinéma de la ville Québec, qui débute dans quelques jours. Les programmateurs de Percé avaient plusieurs bonnes raisons de présenter le film : lors du festival, l’an passé, Olivier Godin a remporté le Grand prix du Jury pour Les arts de la parole. Il était donc naturel de s’attendre à ce qu’il y retourne cette année, avec son petit dernier sous le bras, pratique courante dans tous les festivals sans distinction, de Cannes au Festival du film de Saint-Séverin en Beauce (prochaine édition du 27 au 30 septembre, et donc avant le FNC – merde!).

Mais voilà, le FNC est intervenu afin « d’empêcher » la présentation du film dans ces deux festivals. Je mets « empêcher » entre guillemets, puisque la décision finale incombe bien sûr aux distributeurs et aux cinéastes, mais t’sais, cette situation-là, ce n’est certainement pas une gang d’allumés de Percé voulant seulement voir le dernier Godin qui l’ont créée. Les Percéides, soit dit en passant, ont déjà par le passé organisé des co-diffusions avec le FNC, mais ce qui était possible avant et qui ne faisait de mal à personne ne l’est plus maintenant. Pour quoi, sinon une première de plus à son tableau de chasse ? C’est « passe le film après moi, ou passe-le pas pantoute. »

Institutionnalisez-vous, qu’ils disaient

Que font la SODEC et le CALQ face à cette situation ? Encouragent-ils vraiment la course aux premières des films qu’ils financent avec (où est ma calotte ?) notre argent ? Le message qu’ils ont à comprendre est tout simple : rien ne devrait faire obstacle à un festival souhaitant projeter un film québécois. Point. En s’improvisant gérant d’estrade, le FNC vient de créer un précédent qui aura des répercussions néfastes sur l’écologie des festivals de cinéma québécois. Et qui paiera les frais de cette attitude naïve (j’ose espérer) mais néanmoins cavalière ? Les cinéastes et les régions. Chaque fois qu’un court métrage est apprécié par des cinéphiles à Québec ou en Abitibi, en Beauce ou à Rivière-du-Loup, il s’agit d’une victoire pour notre cinéma. Chaque fois qu’un cinéaste de Montréal prend un verre avec un cinéphile de Percé après la projection de son film, il s’agit d’une victoire pour notre cinéma. Au lieu de quoi, le FNC nous propose une parodie de savane : la louve mange en premier, les autres s’arracheront ce qu’elle daignera laisser derrière elle.

crédits photos : En attendant Avril, Olivier Godin.

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