Et elles vécurent heureuses ?

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Photo : Sylvie-Ann Paré
02.02.2023

Stop Kiss. Texte : Diana Son ; Traduction : Maryse Warda ; Mise en scène : Kim Despatis ; Une production de Tableau Noir ; Avec Célia Gouin-Arsenault, Bozidar Krcevinac, Marie-Christine Lê-Huu, Rose-Marie Perreault, Rodley Pitt et la participation spéciale de François-Xavier Dufour ; Assistance à la mise en scène : Andrée-Anne Garneau; Décor et accessoires : Anne-Sophie Gaudet ; Costumes : Catherine Sainte-Marie ; Éclairages : Julie Basse ; Conception sonore : Étienne Thibeault ;  Direction de production : Rose-Anne Déry et André-Luc Tessier ; Direction technique : Pier-Luc Legault ; Régie : Andrée-Anne Garneau et Hélène Rioux ; Présentée au théâtre La Licorne du 30 janvier au 24 février 2023.

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Montée pour la première fois en 1998 à New York, où la pièce a rencontré un grand succès, Stop Kiss fait son apparition au théâtre de la Licorne dans une scénographie signée Kim Despatis. Le texte de Diana Son, ici présenté dans un régime théâtral réaliste et plutôt conventionnel, relate l’histoire de deux femmes dont l’amitié se transforme doucement en amour. Callie fait la rencontre de Sara, qui vient tout juste d’emménager à New-York, et la complicité naît rapidement entre les deux femmes jusqu’à ce qu’elles s’embrassent lors d’une balade nocturne dans le West Village. Ce premier baisé n’a malheureusement rien d’idyllique : elles sont victimes d’une violente attaque lesbophobe à la suite de laquelle Sara se retrouve dans le coma. Au fil de la représentation, les moments de tendresse partagés dans l’appartement de Callie alternent avec des extraits de l’interrogatoire policier mené afin de reconstruire la chronologie des événements.

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Photo : Sylvie-Ann Paré

Une chronologie éclatée

Le décor réaliste recrée l’intérieur d’un appartement typiquement new-yorkais, avec un salon, une petite cuisine et une chambre. C’est sur un divan installé au milieu de la scène que l’on suivra l’évolution de la relation des protagonistes, où le bavardage nonchalant se transforme rapidement en confidences. Heureusement, une chronologie éclatée faite d’allers-retours dans le temps dynamise l’univers relativement statique de la pièce. Des interruptions jettent en effet le trouble sur l’idylle des deux femmes : un jeu d’éclairage assombrit la scène en illuminant Callie, laquelle répond aux questions d’un policier au sujet de l’agression. Ces interruptions sont l’occasion d’aborder la problématique d’un système judiciaire profondément patriarcal, par conséquent incapable de prendre en charge de manière adéquate les crimes à caractère sexuel.

Effectivement, certains propos tenus par le policier rejettent la faute sur les victimes : « Si vous l’aviez ignoré, si vous étiez parties, ce serait pas arrivé », affirme-t-il brutalement. Cependant, la critique sociale demeure en germe et ne suffit pas à politiser la proposition, qui effleure de nombreux enjeux sans les aborder de front. Quoique l’écriture de la pièce précède de plusieurs années le mouvement #MeToo, l’on peut regretter la timidité du commentaire social, d’autant plus que la production inscrit la pièce dans la filiation de l’histoire des luttes LGBTQ+ au Québec. Le spectacle apparaît plus généralement inabouti, tant au niveau de son propos que de la mise en scène, qui aurait parfois eu avantage à user de la suggestion, quitte à déroger au régime réaliste des décors. Ainsi la scène représentant Sara dans le coma, alors que la table du salon se transforme en lit d’hôpital, apparaît un peu bancale en raison de son caractère imitatif.

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Photo : Sylvie-Ann Paré

Transcender la violence

En mettant l’accent sur la quotidienneté, sur l’intimité et sur la tendresse partagée, la pièce évite la surdétermination de l’histoire d’amour de Callie et de Sara par la tragédie, laissant ouverte la possibilité d’une fin heureuse. Une agréable légèreté émane ainsi du spectacle, dont le message d’espoir est clair : le baiser final clôt la représentation en nous laissant sur un nuage, car on oublie un instant l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête des deux femmes. En effet, Stop Kiss ne représente jamais l’agression, laissant plutôt la parole à Callie dont la langue se délie au fur et à mesure qu’avance la pièce. Cette dernière nous livre de plus en plus précisément le dénouement de leur balade nocturne, et Stop Kiss ne succombe jamais à un traitement sensationnaliste de l’événement. À travers la sensibilité d’une parole hachurée, parfois tronquée par des trous de mémoire, ou encore étouffée par l’émotion, le désir et l’amour transcendent la violence. En effet, l’objectif déclaré de la pièce de faire triompher l’amour apparaît tout à fait louable, et la simplicité du texte de Diane Son se transpose dans un univers théâtral léger et authentique, somme toute attendrissant. Une sensibilité indéniable se dégage de ce spectacle qui m’a fait passer un agréable moment, fait de douceur et de vulnérabilité, sans pour autant me transporter.

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Photo : Sylvie-Ann Paré

Les comédiennes traduisent bien l’évolution d’un désir qui se cherche, avec ses tâtonnements, ses maladresses et ses moments cocasses, donnant lieu à quelques rires complices de la part du public. Une connivence palpable unissait les interprètes, mais on aurait souhaité ressentir davantage la passion des personnages, la trame narrative reposant sur l’affranchissement d’un désir refoulé qui trouve enfin son expression dans le baiser final, dont la timidité scelle malheureusement la tiédeur du spectacle.

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