Blip synthétique

06.05.2016

Érik Cimon, Montréal New Wave, Les films du 3 mars, 2016, 95 minutes.

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Suite directe de MTL Punk : La première vague (moyen métrage de 2011 coréalisé avec Alain Cliche), Montréal New Wave d’Érik Cimon prend le relais d’une formule éprouvée en relatant à nouveau la naissance et la mort d’un mouvement dont l’effervescence n’a eu d’égale que l’indifférence qui lui a été témoignée depuis. De quoi prêter foi aux propos récents de Cliche, qui accuse Cimon d’avoir «volé» ses recherches s’étalant sur plusieurs années et de l’avoir éjecté du projet. Nonobstant les querelles intestines au sujet de la genèse de ce projet, il faut admettre que ce dernier partage néanmoins avec MTL Punk un même rejet de la nostalgie romantique du c’était-mieux-avant et cette propension pour les têtes parlantes filmées en plan américain. Chaque intervenant – et ils sont nombreux – viendra donc figer dans le marbre ce chapitre s’étirant de 1979 à 1985, plage charnière où la new wave – cravates minces et toupets pleureurs – était à son zénith.

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Men Without Hats.

Retour vers le futur

Dans la perspective où chaque mouvement musical s’échafaude en continuité ou par franche opposition à celui qui l’a précédé, qu’allait succéder aux zing-a-ling fleurdelisés des Paul Piché et autres bardes inspirés du rêve mon-Québec-mon-pays? La victoire du Non au référendum de 1980 sur la souveraineté du Québec sonne le glas d’une époque où le collectif agit comme clef de voute d’un projet politique à saveur utopique. En 1982, la province n’échappe pas à une crise économique d’ampleur mondiale. Montréal décrépit à vue d’œil et si la situation encourage d’abord un cynisme autodestructeur (no future) chez les punks, elle se métamorphosera plutôt en douce ironie chez une frange désabusée, qui troquera le nombrilisme d’antan contre un désir d’être international.

Faire comme ailleurs, en anglais, sans avoir à en rougir, voilà le projet d’une bande d’énergumènes gavés au punk, au glam rock et au disco, qui viendront amalgamer l’énergie crasse et dissonante des Sex Pistols et les synthés frigorigènes de la formation allemande Kraftwerk. Le Québécois friand de la new wave se dépoile des ceintures fléchées et des «jupes en terre cuite» et devient une entité tour à tour robotique et extraterrestre. Les distinctions de genres homme/femme s’amenuisent, la mode est androgyne et minimaliste jusqu’à l’utilitariste — pensons à la maison Parachute, qui signera éventuellement les habits portés par Sonny et Ricardo dans la série télé Miami Vice et la boutique Scandale de Georges Lévesque).

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Michel Lemieux.

Très tôt, des formations comme Heaven Seventeen (et celles qui vont naître de ses cendres, Men Without Hats et Rational Youth) intègrent des sonorités électroniques et préconisent une approche de la musique à la fois cérébrale et accrocheuse. Les artistes embrassent ce que d’autres voient comme les tares d’une société postindustrielle, génératrice d’inégalités; ils ne font pas qu’emboiter le pas au progrès, ils le provoquent au possible, répétant tel un mantra les paroles de Home Computer de Kraftwerk : « I program my own computer, beam myself in the future » («Je programme mon propre ordinateur, je m’envoie dans le futur»). Quelque part aux confins du genre, les Terminal Sunglasses rappellent l’irrévérence et l’humour de Devo et Half Japanese, tandis que Trans-X puise dans des films comme Tron son inspiration. Inclusive, la scène fricote même avec l’art de la performance (Monty Cantsin et Michel Lemieux) et la danse contemporaine (La La La Human Steps).

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Monty Cantsin.

En ratissant aussi large, l’inclusion de groupes dits mineurs a de quoi faire sourciller, bien que l’approche démocratique préconisée par Cimon vise certainement à traduire par accumulation l’éclectisme d’un mouvement qui, à tant vouloir s’extirper de son époque pour mieux se catapulter en avant, aura été ironiquement un parfait révélateur de l’horizon des possibles et du champ des limites économiques associés au début de la décennie 1980.

 

Chassez le naturel…

Lorsque Men Without Hats lance le tube The Safety Dance en 1983, la new wave est prête à investir les chaumières du monde entier. La pop aux visées commerciales, prompte à s’arroger «le bon grain» et à jeter l’ivraie aux vidanges, mettra rapidement de l’avant, grâce à des chaînes spécialisées tels que MTV (1981), MuchMusic (1984) et MusiquePlus (1986), des guimauves abominables qui iront trôner sans trop de mal aux sommets des palmarès (Wham!, pour ne nommer qu’eux). Les mélomanes orphelins souffrant d’une carence d’avant-garde se tourneront plutôt vers l’électronique et la musique dance.

C’est à croire que cette incartade futuriste était condamnée à l’obsolescence dès sa création, ou que l’inspiration foutraque de celles et ceux qui en ont été les instigateurs ne pouvait être circonscrite à un terme fourretout.

Par effet de ressac, espérons être happés par une autre vague aussi bien documentée d’ici quelques années. Chronologiquement, les scènes heavy metal (les curieux liront à cet effet L’évolution du métal québécois : No speed limit (1964-1989) de Félix B. Desfossés et Ian Campbell, paru aux éditions du Quartz) et hardcore punk sembleraient toutes désignées à faire l’objet d’un troisième volet à cette série fascinante et nécessaire.

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